Les collections royales (1)

C’est à partir du XVIe siècle que baleiniers, marins et commerçants français établissent les premiers contacts avec les nations amérindiennes d’Amérique du Nord, au gré de leurs incursions tant par mer que par terre, depuis Terre-Neuve dans l’actuel Canada jusqu’au delta du Mississippi dans le golfe du Mexique. Ces agents indirects de la couronne de France troquent avec une variété d’interlocuteurs autochtones et ils offrent parfois de rares témoignages et descriptions de leurs échanges.

Carte d’Amérique du Nord, vers 1720-1750 avec la localisation des nations nord-amérindiennes et celle des colonies établies par les empires anglais, français et espagnol.
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Carte d’Amérique du Nord, vers 1720-1750 avec la localisation des nations nord-amérindiennes et celle des colonies établies par les empires anglais, français et espagnol.
Réalisation : Jérémie Lochard

Prémices du collectionnisme nord-amérindien en Nouvelle-France (1600-1760)

Ces premiers écrits et représentations sont complétés au XVIIe siècle par l’arrivée en Europe d’objets divers de ces contrées lointaines, objets que nous qualifions aujourd’hui d’« ethnographiques » car illustrant les modes de vie et les pratiques sociales des communautés qui les ont produits. Il s’agit dans bien des cas de cadeaux diplomatiques offerts par les Amérindiens aux représentants du Roi : leur valeur artistique tout comme leur importance symbolique sont à la hauteur de la puissance coloniale exercée par la France dans ce territoire rapidement baptisé Nouvelle-France.

De colonie-comptoir administrée par des compagnies coloniales exploitant notamment le commerce de la fourrure avec les nations autochtones, ce territoire grand comme vingt fois la France devient à compter de 1663 une colonie de peuplement sous le gouvernement royal du Conseil souverain de la Nouvelle-France mis en place par Louis XIV. Ce Conseil reste en place jusqu’à la conquête du territoire du Canada par la Grande-Bretagne en 1760 qui marque la fin du premier empire colonial français en Amérique du Nord. Cette longue histoire coloniale de la France dans la région est la raison pour laquelle il n’existe aujourd’hui nul autre pays au monde qui conserve dans ses musées un ensemble d’objets nord-amérindiens d’une telle ancienneté et diversité.

Manteau (destiné à un garçon), Canada, probablement montagnais, début du XVIIe siècle.
Peau de caribou, pigments, tendon.
Dépôt de la bibliothèque municipale de Versailles, musée du quai Branly-Jacques Chirac, inv. 71.1934.33.10 D
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries

Des boîtes en écorce de bouleau et des raquettes de neige, des objets « touristiques » du Québec, une variété d’armes, de mocassins, de sacs, de vêtements et de parures de l’Est Nord-amérindien, des Plaines et des Prairies des États-Unis (aujourd’hui conservés au musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris et dans d’autres institutions en France) évoquent les liens des Français avec leurs alliés d’antan : Innus (Montagnais), Wendats (Hurons), Illinois, Choctaws, et de nombreuses autres nations comme les Apaches et les Comanches. Ces objets, témoignages uniques de la vie des populations amérindiennes, rejoignent les cabinets d’histoire naturelle de la couronne, des familles aristocratiques et des congrégations religieuses, microcosmes destinés à réunir des spécimens d’objets exotiques provenant des continents nouvellement reconnus.

Des objets de curiosité et d’étude

Le projet longtemps nourri de création d’un Jardin du Roi destiné à accueillir les spécimens botaniques recommandables pour leurs propriétés médicinales se concrétise en 1626 sous le règne de Louis XIII. Ce jardin rassemble des plantes venues du monde entier dans le but d’en améliorer la connaissance et d’en fomenter la culture en France, telles des essences de bois particulièrement propices à la construction maritime.

Le Jardin du Roi devient rapidement un haut-lieu de la recherche et de l’innovation vers lequel ne cessent de converger les envois de spécimens de flore, de faune, de minéralogie (créations naturelles ou naturalia) venus de toutes les régions du monde. Ceux-ci sont réunis dans un cabinet où trouvent également leurs places certains objets ethnographiques que l’on désigne d’artificialia, car réalisés de la main de l’homme à partir des ressources naturelles de contrées éloignées.

Au Siècle des lumières, la collecte systématique de spécimens naturalistes et de curiosités s’organise, à l’image de l’approche encyclopédique développée par Denis Diderot : toutes les richesses de la nature doivent être enregistrées, documentées et collectées pour être rassemblées au Jardin du Roi. Au milieu du XVIIIe siècle, les locaux au Jardin des Plantes sont agrandis pour pouvoir accueillir ces archives de la nature et ces objets de curiosité.

Jean-Baptiste Hilair, Jardins botaniques, 1794. Dessin à la plume et encre de Chine, aquarelle et rehauts de blanc, 17,3 x 25 cm. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-VE-53 (F)
Jean-Baptiste Hilair, Jardins botaniques, 1794. Dessin à la plume et encre de Chine, aquarelle et rehauts de blanc, 17,3 x 25 cm. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE FOL-VE-53 (F)
Source : gallica.bnf.fr / BnF

L’Académie royale des sciences fondée en 1666 est une autre institution de grande renommée étroitement associée à celle du Jardin du Roi, constituée de savants de spécialités variées, tels des mathématiciens, des astronomes, ou encore des physiciens (anatomistes, botanistes, zoologistes et chimistes). Le personnel scientifique du Jardin des Plantes en est dans sa grande majorité membre. L’Académie contribue au développement des sciences et conseille le pouvoir en ce domaine. Ayant à sa charge la formation des jeunes chercheurs, elle conserve en son sein des collections destinées à l’enseignement ; celles-ci incluent du matériel ethnographique, issu des dons reçus de la part de ses membres. Ainsi, les cabinets de mécanique, d’hydraulique, d’horlogerie, etc. constitués et donnés par Louis-Léon Pajot, comte d’Ons-en-Bray, directeur général des Postes et Relais de France et membre honoraire de l’Académie entre 1716 et 1754, contiennent des objets ethnographiques parmi les plus anciens documentés.

Collier de wampum, Nord-Est d’Amérique du Nord, XVIIIe siècle. Coquillage, cuir, piquants de porc-épic, fibres végétales. Ancienne collection du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 71.1878.32.56 © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Valérie Torre
Collier de wampum, Nord-Est d’Amérique du Nord, XVIIIe siècle. Coquillage, cuir, piquants de porc-épic, fibres végétales.
Ancienne collection du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 71.1878.32.56
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Valérie Torre

Outre ces institutions de recherche, les objets nord-amérindiens provenant du premier empire colonial français aux Amériques rejoignent aussi les cabinets de curiosités français. Associés à des collections de physique, de chimie et d’histoire naturelle et à des bibliothèques, ces cabinets servent l’éducation des princes, suivant une pratique répandue dans les familles royales et aristocratiques d’Ancien Régime. L’on retrouve ces collections destinées à l’instruction dans les congrégations religieuses, à l’instar du célèbre cabinet de curiosités constitué par Claude du Molinet, chanoine régulier et bibliothécaire de l’abbaye de Sainte-Geneviève de 1675 à 1687.

Claude du Molinet, Le cabinet de la bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, chez A. Dezallier, 1692, pl. 4. Bibliothèque nationale de France, J-1575
Claude du Molinet, Le cabinet de la bibliothèque Sainte-Geneviève, Paris, chez A. Dezallier, 1692, pl. 4.
Bibliothèque nationale de France, J-1575
Source : gallica.bnf.fr / BnF
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