Halito [Bonjour]
En 2016, Jennifer Byram, chercheuse associée au Département de sauvegarde de l’histoire de la nation choctaw de l’Oklahoma, prenait contact avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac afin de s’informer sur la présence éventuelle d’objets choctaw dans ses collections. Cette demande de renseignement s’inscrivait dans le cadre de la création de la Chahta Imponna Database, une collection virtuelle d’œuvres actuellement conservées dans des musées états-uniens ou étrangers qui témoignent de techniques de fabrication choctaw dont l’usage n’est plus courant.
Peabody Museum of Archaeology and Ethnology, Harvard University, 41-72-10/19
En sauvegardant des connaissances choctaw immémoriales, cette base de données permet aux membres de la communauté choctaw d’accéder à des objets issus de ses territoires ancestraux, correspondant à l’actuel Sud-Est des États-Unis. Ce premier contact a été le point de départ d’une collaboration entre Paz Núñez-Regueiro, responsable de l’Unité patrimoniale des Amériques au musée du quai Branly-Jacques Chirac, et Jennifer Byram, membre de la Nation Choctaw. S’en sont suivis des échanges d’informations avec les auteurs de cet article et une consultation virtuelle d’une sélection d’objets exceptionnels du XVIIIe siècle conservés au musée. Un projet d’exposition collaborative a alors été évoqué par le musée du quai Branly-Jacques Chirac. Cette collaboration s’inscrit dans la longue histoire des relations diplomatiques entre les Choctaws et les Français.
Choctaws et Français aux temps de la Nouvelle-France
Lorsqu’en 1540, le conquistador espagnol Hernando de Soto rencontre pour la première fois des guerriers choctaws, notre peuple est un acteur de poids sur l’échiquier politique international. Alors qu’en Amérique du Nord s’intensifient les interactions entre Européens et nations autochtones, les Choctaws nouent des relations commerciales avec les Français. Durant toute cette période, des explorateurs rapportent en France des objets choctaws destinés aux collections de l’élite. Bien que la France soit alors perçue comme une alliée considérée, en raison de son meilleur respect des termes des traités conclus en comparaison des autres puissances impériales, cette pratique de collecte des objets autochtones à destination de collections européennes illustre parfaitement la complexité des rapports entre les Choctaws et la France.
L’acquisition de savoirs sur les communautés autochtones accompagne alors les stratégies d'édification des empires européens : ce sont les prémices de ce qui deviendra au XIXe siècle une « anthropologie de sauvetage ». Celle-ci cherche à documenter la vie des communautés autochtones qui sont alors considérées comme étant vouées à la disparition en raison des politiques assimilationnistes mises en place par les Euro-américains, qui portent atteinte aux cultures amérindiennes. Dans le monde entier, les empires européens collectent des objets, d’abord exposés dans des cabinets de curiosité, puis dans les musées et les universités.
Histoire et culture choctaw
Depuis plusieurs décennies déjà, chercheurs et membres des communautés autochtones dénoncent les origines coloniales de nombre de ces collections européennes. Ceux-ci plaident pour que les institutions qui les conservent travaillent en collaboration avec les communautés dont elles sont issues et, dans certains cas, pour que des objets soient rapatriés. Des lois nord-américaines, telle celle votée en 1990 sur la protection et le rapatriement des sépultures autochtones (Native American Graves Protection and Repatriation Act), ont également conduit les institutions à accorder une attention particulière à certaines pièces de leurs collections et à engager des restitutions. Aujourd’hui, la nation Choctaw s’emploie à retrouver la trace des objets de son passé conservés par des tiers afin de reconquérir et de revitaliser ses traditions.
Suivant la voie de nos ancêtres, la Nation Choctaw de l’Oklahoma perpétue son héritage et continue d’en partager la richesse avec le reste du monde. Troisième tribu des États-Unis par sa population, la Nation Choctaw a regagné sa puissance politique et économique d’antan. Celle-ci est forte et influente dans la vie américaine d’aujourd’hui. Bien que nous ayons été déplacés de nos terres d’origine à partir de 1831 et que le colonialisme américain ait profondément modifié notre structure politique, nous avons su persévérer et maintenir nos modes de vie traditionnels. Actuellement, le Département de sauvegarde de l’histoire de la nation choctaw assure des programmes d’éducation aux arts et modes de vie traditionnels portant sur la poterie, le tannage du cuir, le tissage, l’art culinaire, les loisirs et la langue.
Notre nouveau centre culturel ouvrira ses portes au printemps 2021. L’établissement, situé non loin de notre siège administratif, à Durant dans l’Oklahoma, accueillera toutes ces activités, ainsi que des expositions et autres événements. Une part essentielle des travaux préparatoires a consisté à localiser les objets choctaws aujourd’hui répartis dans des institutions publiques et des collections privées aux quatre coins du monde. Ces objets sont riches d’informations sur les techniques ancestrales permettant aujourd’hui de revitaliser les productions artisanales traditionnelles. Ce processus de réapprentissage nous relie aux quelques 500 générations d’ancêtres choctaws qui nous ont précédés.
La collection choctaw conservée à Paris
La collaboration scientifique menée sur la collection choctaw conservée à Paris, ainsi que le projet d’exposition prévu à la bibliothèque municipale de Versailles, témoignent à la fois des liens historiques qui unissent les Choctaws et la France et de la relation complexe entre colonialisme, musées et communautés autochtones contemporaines. Les objets choctaws présents dans les collections du musée du quai Branly-Jacques Chirac ont une longue histoire et ont servi de multiples fins au cours des voyages qui les ont menés de l’ancienne Louisiane française du XVIIIe siècle jusqu’à l’époque actuelle. Ces objets portent en eux la trace de leurs parcours sur des milliers de kilomètres et des centaines d’années. Ils servent aussi de pont entre nous et ceux qui ont connu le monde et l’époque de ces artefacts, ainsi qu’avec les nations européennes qui les ont emportés à Paris.
Renouer avec les objets choctaws, c’est aussi renouer avec nos ancêtres qui les ont fabriqués et utilisés. Non seulement ces objets nous ont aidés à ranimer nos relations diplomatiques de nation à nation 250 ans plus tard, mais ils illustrent aussi combien les Choctaws ont une souveraineté durable, réaffirmée à travers les siècles. Ils nous rappellent de manière cruciale que les relations politiques des Choctaws sont intrinsèquement internationales et ne sauraient se résumer à nos rapports avec les États-Unis.
Dans le cadre de ce site, en collaborant avec le musée du quai Branly-Jacques Chirac, l’équipe de la Nation Choctaw réfléchit aux histoires complexes que soulèvent les collections royales françaises et revisite ce qu’elles lui ont légué. Les rassembler nous aide à écrire un nouveau chapitre de notre histoire diplomatique avec la France, alliée cruciale au cours du XVIIIe siècle, pour tisser de nouvelles relations plus égalitaires et permettre à notre communauté de renouer avec les objets de nos ancêtres, qui, ce faisant, acquièrent une vie nouvelle. En outre, nous mettrons en lumière le travail de préservation historique et de revitalisation culturelle en cours au sein de la Nation Choctaw. Cette collaboration nous aidera à montrer à nos communautés que les matériaux et les relations en jeu dans cette exposition s’inscrivent dans les histoires, traditions et pratiques matérielles propres à la population choctaw du Sud-Est des États-Unis, et comment elles nous ont amenés à être ce que nous sommes aujourd’hui.
Au nom de la Nation Choctaw de l’Oklahoma, nous sommes honorés d’être associés au programme de recherche sur les collections royales d’Amérique du Nord ainsi qu’à l’exposition « La Curiosité d’un prince », projet auquel contribuent le Département pour la sauvegarde de l’histoire et le Centre culturel choctaw.