Faire parler les objets

Explorer les objets des Collections Royales d’Amérique du Nord au moyen d’analyses est avant tout un moyen de confronter les données fournies par les historiens, les ethnologues et les anthropologues. En effet, identifier les matériaux employés permet de retracer l’origine et la circulation des substances mises en œuvre et de documenter les échanges matériels lors des premiers contacts établis entre Amérindiens et Européens en Amérique du Nord entre le XVIe et le XVIIIe siècle. En repérant les traces d’outils ou les modes d’assemblage, il est également possible de caractériser les technologies de fabrication, et, au travers des traces d’usures, de comprendre leur utilisation.

Sac brodé en coton et piquants de porc-épic, à bandoulière en perles de verre (71.1878.32.142) sous la tête du microscope numérique HIROX. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Julien Brachhammer
Sac brodé en coton et piquants de porc-épic, à bandoulière en perles de verre (71.1878.32.142) sous la tête du microscope numérique HIROX.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Julien Brachhammer

L’analyse des objets en laboratoire contribue par ailleurs à la reconstitution de leur parcours : des restes de matières organiques dus à leur utilisation, des ajouts de couleurs, des résidus de pesticides ou encore des restaurations anciennes sont autant de traces du passé qui permettent de connaître le chemin de ces objets avant et depuis leur entrée dans les collections muséales. Ces données assistent les professionnels de la conservation matérielle dans les choix de restauration ou dans l’élaboration de consignes de préservation des objets.

Des problématiques identifiées

La collection étudiée dans le cadre du programme de recherche CRoyAN présente une grande variété de typologies d’objets. Ceux-ci ont été réalisés avec une multitude de matériaux plus ou moins travaillés : tannage des peaux pour la confection de vêtements ou de mocassins, teinture des piquants de porc-épic, des poils de cervidé ou des rachis de plume pour la réalisation de broderies, tissage des fibres végétales ou animales pour la fabrication de sacs ou de cordes de portage, élaboration de boîtes et de récipients en écorce de bouleau, façonnage de perles en coquillage ou en alliages métalliques, réalisation de peintures décoratives, etc.

C’est pour tenter de comprendre les technologies d’élaboration de ces objets que des analyses morphologiques et physico-chimiques sont réalisées par le pôle Conservation-Restauration du musée du quai Branly-Jacques Chirac et les partenaires extérieurs du projet, le Centre de Recherche sur la Conservation (CRC) et le Muséum national d’histoire naturelle, avec le soutien financier de la Fondation des Sciences du Patrimoine.

Cette paire de mocassins (71.1878.32.137.1-2) présente une préparation particulière de la peau, qui pourrait être à l’origine de leur rigidité actuelle. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Valérie Torre

Cette paire de mocassins (71.1878.32.137.1-2) présente une préparation particulière de la peau,
qui pourrait être à l’origine de leur rigidité actuelle.

© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries, Valérie Torre

Comme pour tout travail de recherche sur des objets de collection, des problématiques précises sont identifiées : une première porte sur l’étude des peaux, qui est le matériau le plus fréquent sur les objets du corpus. L’objectif est de déterminer l’espèce animale, le mode de préparation employé (tannage) et d’évaluer leur état de conservation. La seconde concerne la caractérisation des matières colorantes, pigments minéraux et colorants organiques, afin de mieux déterminer leurs usages et de différencier les sources de teintures locales de celles issues des échanges avec les Européens. Enfin, une approche de conservation préventive, qui consiste à caractériser la sensibilité à la lumière de ces objets, permet de définir des conditions d’éclairage optimales pour leur exposition en contexte muséal.

Quels types d’analyses ?

Dans le domaine des biens culturels, un intérêt majeur est porté aux analyses non destructives, voire non invasives, c’est-à-dire qui ne nécessitent pas de prélèvements et qui sont sans dommages pour l’objet. Par conséquent, une méthodologie d’analyses morphologiques et physicochimiques à l’aide d’instruments portables est mise en place.

L’approche initiale consiste en l’observation visuelle des objets, parfois à l’aide d’outils d’imagerie performants (microscope numérique à fort grossissement, éclairage par des sources de lumière UV, etc.). Ces observations permettent par exemple de mettre en évidence des caractéristiques discriminantes des peaux pour identifier les espèces animales, ou encore de documenter précisément les techniques de tissage ou de broderie en piquants de porc-épic.

La caractérisation physico-chimique des matériaux constitutifs des objets résulte de l’utilisation combinée de plusieurs techniques d’analyse non-invasive : la spectroscopie de réflectance visible et proche infrarouge (FORS), la spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier, la spectroscopie Raman, la spectroscopie de fluorescence des rayons X.

Sac brodé en piquants de porc-épic (71.1909.19.23 Am D) sous la tête d’analyse du spectromètre de fluorescence des rayons X. © musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Céline Daher
Sac brodé en piquants de porc-épic (71.1909.19.23 Am D) sous la tête d’analyse du spectromètre de fluorescence des rayons X.
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Céline Daher

Ces analyses se font à l’aide d’instruments portables placés devant ou, parfois, au contact de l’objet. Le principe général de ces techniques est le même : un rayonnement - plus ou moins énergétique - est envoyé sur l’objet, interagit avec la matière suivant différents phénomènes physiques, puis une partie de ce rayonnement réémis par l’objet est reçu par un détecteur et traité. L’interprétation et la combinaison des données issues de ces techniques complémentaires permet l’identification des matériaux. Il est parfois nécessaire d’avoir recours à des échantillons modèles réalisés par des experts habitués à recréer les procédés traditionnels afin que ceux-ci servent de références. Dans certains cas, les méthodes non-invasives n’offrent que des réponses partielles et le recours à des prélèvements pour des analyses plus spécifiques est indispensable, comme par exemple la calorimétrie différentielle à balayage (DSC), technique de référence pour évaluer la stabilité du collagène et donc l’état de conservation des peaux.

Mocassins Paris CROYAN 71.1909.19.8.1-2 D
Mocassin (71.1909.19.8.1-2 D) en cours d’analyse par spectroscopie de réflectance visible et proche infrarouge (FORS).
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Céline Daher

Au-delà de l’identification des matériaux, il existe une méthode qui permet de déterminer la sensibilité à la lumière des matériaux constituant ces objets : la micro-décolorimétrie. Elle consiste, sans connaître la composition chimique des objets, à prédire le comportement de la matière lorsqu’elle est exposée à la lumière, et elle permet ainsi de définir les paramètres d’éclairage les plus adéquats, autrement dit n’entrainant pas de modification des couleurs qui soit perceptible à l’œil nu.

Cette étude de la matérialité des objets issus des collections royales d’Amérique du Nord conservées au musée du quai Branly - Jacques Chirac vous sera présentée sur ce blog en fonction de l’avancée des recherches, avec des mises au point détaillées sur les techniques d’analyses appliquées à certains objets ou typologies d’objets.

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