Un premier regard sur la collection de peaux peintes
L’ensemble de peaux peintes d’Amérique du Nord conservé en France n’a pas d’équivalent dans le monde, par son ampleur et son ancienneté. Quinze d’entre elles, conservées au musée du quai Branly - Jacques Chirac, remontent au XVIIIe siècle. Les pièces proviennent du fonds ethnographique du cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale et de l’ancien « Cabinet de curiosités et d’objets d’art » de la bibliothèque municipale de Versailles, où il a été rassemblé en 1806 avant d’être déposé à Paris en 1934.
Si ces peaux sont conservées dans les collections publiques depuis désormais plus de deux siècles, leurs origines, leurs fonctions et leurs histoires restent méconnues. Les études menées à ce jour en ont proposé des identifications et des interprétations changeantes sur la base de sources fragmentaires et bien souvent secondaires.
Cela s’explique par l’absence totale d’études dédiées à la production de peaux peintes au XVIIIe siècle. À cela s’ajoute le fait que le fonds parisien est le plus ancien conservé, ce qui limite les approches comparatives avec d’autres collections. Sur la base de ce constat, une recherche pluridisciplinaire a été lancée sur ce corpus d’exception afin d’en renouveler la lecture, en exploitant exclusivement les sources primaires préservées (inventaires d’origine, correspondance d’époque, etc.) et la matérialité des peaux peintes considérées. Il s’agit d’un projet au long cours qui vise à préciser l’origine des pièces et à en détailler les caractéristiques intrinsèques.
Une première session de travail a été réalisée du 22 juin au 3 juillet 2020, par une équipe composée de conservateurs, d’anthropologues, de restaurateurs et de spécialistes des sciences des matériaux et des sciences naturelles. Le but était de réaliser une première observation comparative de l’ensemble afin de dégager des pistes de réflexion et de recherches, de définir les besoins en termes de conservation et de restauration de ces peaux et enfin, de mener une première série d’analyses non-destructives pour l’identification des pigments et des matériaux employés pour le décor des peaux.
Une collection singulière
Ces objets sont désignés sous les termes de peaux peintes et/ou de manteaux suivant leurs usages présumés, puisqu’ils ont pu servir de tapis ou bien de manteau de guerrier. Dans les deux cas, il s’agit de pièces de prestige dont certaines ont été portées ; d’autres en revanche ne présentent pas de traces d’usure, indiquant qu’elles n’ont probablement pas servi avant leur cession, ayant peut-être été produites pour l’échange.
La recherche de provenance de ces pièces et leur analyse stylistique est en cours. Il est cependant possible de dire que la grande majorité provient de la région des Plaines, vaste aire culturelle s’étendant, au Nord, du Sud des provinces de Manitoba, Saskatchewan et de l’Alberta au Canada, et au Sud, jusqu'à l’actuel Texas et à la Louisiane aux États-Unis. Ce territoire est habité jusqu’à la fin du XIXe siècle par de multiples tribus nomades et semi-sédendaires, au mode de vie équestre, dont la subsistance dépend essentiellement du bison. Les peaux servent à la confection des tipis (tentes coniques), des vêtements et de tous types d’équipements. Les peaux de cervidés sont aussi exploitées. Dans la zone subarctique plus septentrionale, ce sont en revanche d’autres espèces comme le caribou et l’orignal qui fournissent les peaux.
Réalisation : Jérémie Lochard
La majorité des pièces présente une découpe des peaux qui suit les contours de l’animal, en intégrant les pattes et le cou. Certaines, dites de type « split-robe », sont des manteaux composés d’une unique peau mais avec une couture médiane le long de la zone de l’épine dorsale de l’animal, qui, pour les spécimens identifiés, proviennent généralement des Plaines. D’autres peaux peuvent être attribuées culturellement aux régions des Plaines centrales ou méridionales.
Analyses préliminaires et constats d’état
L’identification de l’espèce animale employée pour la confection des peaux se fonde sur des caractéristiques biométriques (les dimensions particulières de la peau) et sur d’autres critères morphologiques comme la présence de follicules pileux ou encore l’aspect et la couleur des poils (analyse au microscope possible dans la plupart des cas). Ces paramètres peuvent aussi renseigner sur les méthodes de tannage ou de traitement de la peau qui peuvent modifier sa texture et sa couleur. L’analyse de l’ensemble a permis de vérifier que les peaux peintes à l’étude sont réalisées à partir d’une seule peau animale. Pour la moitié d’entre elles, il s’agit de peaux de bisons, pour l’autre, de cervidés, tandis qu'une pièce a peut-être été confectionnée dans une peau de caribou.
L’étude visuelle des peaux peintes a permis de caractériser les technologies mises en œuvre au travers de traces d’outils laissées, notamment par les couteaux lors du grattage de l’épiderme avant le tannage, ou par les pinceaux-peignes lors de l’application de la polychromie. La recherche de traces d’usure a apporté des renseignements sur les modes d’utilisation de ces peaux. Certaines altérations structurelles (trous, traces de clous) ont, quant à elles, apporté des informations sur les systèmes d’accrochage anciens qui ont permis l’exposition de ces peaux dans les différentes institutions qui les ont conservées.
Enfin, des analyses physico-chimiques par spectroscopie de fluorescence des rayons X et par spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier ont permis de caractériser les matériaux utilisés pour la confection et l’ornement de ces peaux. Ainsi, il a été possible de différencier les pigments issus de sources locales comme l’ocre, le gypse ou le noir de carbone, de ceux provenant des échanges avec les européens comme le vermillon, le minium ou les pigments au cuivre. Les liants des peintures semblent tous composés de matériaux protéiniques comme la colle animale, très probablement issue des tendons, des os et des résidus de peaux des animaux chassés.
Les peaux peintes de ce corpus sont uniques, non seulement par leur datation très ancienne pouvant être documentée, mais aussi par leur provenance géographique variée. Elles constituent un sujet d’étude d’envergure qui sera un des axes forts du projet CROYAN.
Les auteurs
Ressources
- Vitart-Fardoulis, Anne (éd.), Parures d’histoire. Peaux de bisons peintes des Indiens d’Amérique du Nord. Paris : Musée de l’Homme/RMN, 1993.
- Feest, Christian (éd.), Premières nations, collections royales : les Indiens des forêts et des prairies d’Amérique du Nord, catalogue d'exposition. Paris : Musée du quai Branly/RMN, 2007.
À lire aussi