Rencontre avec Peter Jemison.
Venue d’une délégation Haudenosaunee et Huronne-Wendate à Paris (10-15 octobre 2021)

En octobre 2021, une délégation haudenosaunee et huronne-wendate a été invitée par le Musée du quai Branly -Jacques Chirac pour un séjour d’étude à Paris, portant sur les collections nord-américaines de l’institution. Cette rencontre a permis aux membres de la délégation, dont Peter Jemison, de renouer avec des objets sacrés tels que les wampums et de les réintroduire dans des récits contemporains. 

Peter Jemison, consultation de la collection de wampums au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris 2021
Peter Jemison, consultation de la collection de wampums au musée du quai Branly - Jacques Chirac, Paris 2021
Crédit photo : © 

Peter Jemison est membre du clan du Héron du territoire de Cattaraugus, de la Nation Seneca. Artiste, Il explore à travers ses créations une variété de sujets inspirés d’événements sociaux et politiques passés et présents, ainsi que du monde symbolique et du territoire haudenosaunee.  Parmi ses nombreuses fonctions, il a notamment été le directeur du Seneca Art & Culture Center, sur le site historique de Ganondagan, de 2015 à février 2022. Grand connaisseur de l’histoire de la Confédération iroquoise, il est une figure incontournable de la vie cérémonielle de sa nation, menant de nos jours un important travail de transmission de l’héritage culturel haudenosaunee auprès de la jeunesse.

Il est l’un des membres de la délégation Haudenosaunee et Huronne-Wendate venue à Paris du 10 au 15 octobre 2021 pour un séjour d’étude à l’invitation du musée du quai Branly-Jacques Chirac. Le programme des activités prévoyait des sessions de travail autour des pièces de la collection, et notamment des wampums, pour préparer l’exposition Wampum. Perles de diplomatie en Nouvelle-France qui sera présentée à Paris au printemps 2022, puis au Seneca Art & Culture Center au printemps-été 2023. Étaient également prévues des visites dans des sites historiques d’Ancien Régime et différentes institutions culturelles conservant des collections pertinentes pour la préparation de l’exposition : château de Versailles, bibliothèque municipale de Versailles, musée du Louvre, Bibliothèque nationale de France, déplacement à Chartres pour voir les deux wampums conservés dans le Trésor de la cathédrale.

Peter partage ses impressions sur le séjour de la délégation à Paris, le premier voyage des partenaires CRoyAN depuis le début du projet en 2019, en raison de la pandémie.

Quelles étaient vos attentes en amont du voyage à Paris ?

P. J. : Eh bien, j’ai visité le musée du quai Branly pour la première fois en 2010, et à cette époque, je n’ai pas été accueilli ni guidé au sein de l’institution. Donc même si nos échanges dans le cadre du projet CRoyAN étaient bons, je restais marqué par cette première expérience négative et je m’interrogeais sur la manière dont notre rencontre allait se passer. Pendant notre voyage, Michael Galban, Jamie Jacobs et moi-même réfléchissions encore à la manière dont nous pourrions débuter notre première journée à Paris. Mais une fois sur place, tout s’est déroulé parfaitement : le personnel du musée était prêt pour nous recevoir, tous les objets avaient été préparés pour que nous puissions les voir et vous nous avez emmenés dans des endroits où nous avons vécu des expériences très uniques. Ce fut donc une expérience très positive.

La première étape du programme prévoyait une cérémonie de bienvenue pour les objets, organisée dans le jardin du musée à votre demande. Quel en était le but ?

P. J. : La cérémonie différait quelque peu de ce que nous avons l’habitude de faire lorsque nous visitons la plupart des musées. Le plus souvent, nous allons d’abord voir le patrimoine culturel ou les restes humains, puis ce n’est qu’ensuite que nous préparons leur retour dans notre communauté : c’est donc dans ce second temps que nous commençons le processus de conversation avec les objets sacrés ou les restes humains, afin de leur faire savoir quel est le processus qui va être suivi. Nous ne débutons donc pas toujours par ce type de cérémonie, les consultations ont généralement lieu avant. À Paris néanmoins, nous avons eu envie de saluer à nouveau les objets, car ils avaient été éloignés de nous depuis longtemps. Nous ignorions en outre comment ces objets avaient été utilisés, car il s’agissait de pièces qui, pouvons-nous dire, étaient employées par les guerriers [les objets associés d’une manière ou d’une autre à la guerre peuvent être potentiellement dangereux d’un point de vue spirituel].

Quel a été votre moment préféré à Paris ?

P. J. : C’est une question difficile… j’ai certainement beaucoup apprécié les séances de consultation au musée, où cours desquelles nous avions rassemblé pour étude des casse-têtes, des wampums et d’autres objets encore : ces objets sont vraiment impressionnants et ils ont suscité beaucoup de conversations entre nous. Le musée du Louvre et le château de Versailles sont également spectaculaires et nous avons eu un accès privilégié à leurs espaces et collections. Difficile ensuite de ne pas penser à notre voyage à Chartres et à la rencontre avec les colliers wampums conservés dans la cathédrale ! Ils sont si grands, inédits et extraordinaires, et le cadre est si saisissant ! La visite de la Bibliothèque nationale me vient également à l’esprit : nous avons vu des manuscrits écrits en langue huronne-wendate sur écorce de bouleau datant du XVIIème siècle et d’autres documents de ce type, que bien peu de personnes ont l’occasion de voir !

Et quels objets avez-vous trouvés les plus pertinents pour votre communauté ?

P. J. : Je pense tout d’abord aux casse-têtes, celui avec des incrustations de wampum et celui figurant une tête d’animal et deux loutres. Leurs caractéristiques sont uniques, donc je suis certain que les gens seraient intéressés de voir cette iconographie ou ces images sur ces casse-têtes, ainsi que par l’utilisation différente qui est faite des perles de wampum. Je pense également au collier wampum qui pourrait être liée à la Confédération des Illinois, car nous avons travaillé avec les habitants de l’Illinois pour fabriquer notre maison longue en écorce. Il me semble que ce collier pourrait être un moyen d’impliquer d’autres personnes dans l’histoire. Les Illinois entretenaient historiquement des relations avec les Français et avec nous aussi, les Haudenosaunee, même si ce n’étaient pas de bonnes relations puisque nous étions ennemis à un moment donné. Mais aujourd’hui, nous trouvons un moyen de travailler ensemble et ce collier wampum témoigne de notre relation dans le passé et dans le présent. Je pense enfin à la pipe calumet avec les plumes attachées, si belles, et à toutes les broderies en piquants de porc-épic sur plusieurs objets. Il existe actuellement un très fort intérêt pour la broderie en piquants de porc-épic, en particulier dans notre communauté Seneca, donc les gens seraient intéressés de voir les objets qui intègrent cette technique décorative.

Et comment cette collection, notamment les wampums, évoque-t-elle des pratiques contemporaines ?

P. J. : Eh bien, nous avons certaines personnes (moins d’une douzaine) qui reproduisent des colliers wampum en fac-similé pouvant être emmenés dans les salles de classe ou utilisés dans d’autres contextes, à des fins pédagogiques. Nous avons une personne dans notre communauté qui n’est pas autochtone mais qui a produit plus d’une centaine de colliers wampum différents. Il les emmène dans nos différentes communautés pour les exposer. Cela suscite des discussions et des échanges, et nous voyons de fait depuis un certain temps beaucoup plus de colliers wampum que dans le passé, parce que ces colliers étaient jusqu’à présent loin de nous dans les musées et tous n’ont pas été ramenés jusqu’à nous pour être montrés. Maintenant que nous en avons des répliques, nous pouvons en parler et apprendre d’eux. Des questions se posent : pourquoi ne produirait-on pas aujourd’hui des colliers wampum, pour la diplomatie, pour les invitations… ? Nous utilisons déjà des wampums pour les invitations traditionnelles, mais nous voulons aller au-delà.

Ce séjour à Paris a non seulement permis de mettre en lumière l'importance des wampums dans le passé, mais aussi d'explorer comment ces traditions peuvent influencer notre compréhension moderne de la diplomatie et des relations interculturelles. En réintroduisant ces objets dans des récits contemporains, Peter Jemison et la délégation haudenosaunee et huronne-wendate montrent la manière dont le patrimoine peut nourrir un dialogue vivant et enrichissant encore aujourd'hui.

Membres de la délégation haudenosaunee et huronne-wendate

Michael GALBAN

Michael GALBAN

(Nations Washoe et Yosemite-Mono Lake Paiutes), directeur, Seneca Art & Culture Center, Ganondagan State Historic Site, Victor (New York)

Jamie JACOBS

Jamie JACOBS

(Nation Seneca de Tonawanda), conservateur, Rochester Museum & Science Center, New York State

Peter JEMISON

Peter JEMISON

(Seneca Nation of Indians, Cattaraugus Territory), artiste, ancien directeur, Ganondagan - Seneca Art & Culture Center, Victor, New York State

Katsitsionni FOX

Katsitsionni FOX

(Nation Mohawk, Akwesasne), artiste visuel, commissaire d’exposition, cinéaste

Tonia « Iakonikohnrio » GALBAN

Tonia « Iakonikohnrio » GALBAN

(Nation Mohawk, Akwesasne), éducatrice, Ganondagan - Seneca Art & Culture Center, Victor, New York State

Iakonikonriiosta

Iakonikonriiosta

(Nation Mohawk, Akwesasne), directrice, Akwesasne Culture Center, Akwesasne, New York State

Jonathan LAINEY

Jonathan LAINEY

(Nation Huronne-Wendat), conservateur, Cultures autochtones, Musée McCord-Stewart, Montréal

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