Denis-Jacques Fayolle (1)

Le nom de Denis-Jacques Fayolle est indissociable du cabinet de curiosités constitué dans les années 1785-1789 par Charles-Philippe de Bourbon, comte d’Artois, frère cadet de Louis XVI, pour l’éducation de ses fils. Un inventaire établi en 1792 en illustre l’envergure impressionnante : à côté des 14 538 spécimens naturalistes, il comprend 362 pièces d’« Habillements, armes et ustensiles des différents peuples de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique » ainsi que 39 « divinités des mêmes peuples » et 300 médailles romaines. Le fonds de pièces exotiques compte parmi les plus exceptionnels de l’époque, l’ensemble nord-américain étant de loin le plus important en nombre et en variété d’objets.

Signature de Denis-Jacques Fayolle
© Bibliothèque municipale de Versailles

L’historiographie développée à partir du XIXe siècle a souvent brossé le portrait de cet ancien commissaire de la Marine passionné d’histoire naturelle qui vend, au profit du projet éducatif princier, sa collection personnelle de spécimens naturalistes. Fayolle devient alors conservateur du cabinet d’Artois, installé à l’hôtel particulier de Louis-Armand de Sérent, gouverneur des jeunes princes. La Révolution met un terme au projet princier et Fayolle, devenu commissaire des arts chargé des saisies révolutionnaires, veille à l’intégrité du cabinet de curiosités. Celui-ci transite par le château de Versailles, avant d’être installé, en 1806, dans la toute nouvelle bibliothèque municipale de Versailles. Décédé deux ans plus tôt, Fayolle ne voit pas l’aboutissement du projet auquel il a dédié les vingt dernières années de sa vie.

Le parcours méconnu d’une personnalité singulière

Le rôle de Fayolle dans l’histoire du cabinet d’Artois reste à ce jour mal compris. Une consultation lacunaire des sources a conduit les chercheurs à affirmer que les pièces qui le constituent avaient été acquises par Sérent ou que la collection ethnographique associée au cabinet princier provenait du fonds d’histoire naturelle constitué par Fayolle entre 1750 et 1785. Pourtant, l’activité de Fayolle au sein du corps administratif de la Marine ne saurait expliquer à elle seule l’arrivée entre ses mains d’un ensemble d’exotica ou pièces exotiques (antiquités et objets rapportés de contrées éloignées) aussi conséquent et d’une telle rareté.

Exposition Collections royales 2007 Paris CROYAN
J. B. Nolin, Mappemonde, carte universelle de la terre, Paris, Daumont, 1755,
Bibliothèque nationale de France, GED-5062 (http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb40751922r)
© Bibliothèque nationale de France (http://www.gallica.bnf.fr)

Un passionné d'histoire naturelle

Denis-Jacques Fayolle, né en 1729, débute sa carrière comme principal commis puis commissaire de la Marine. Un rapport établi en 1792 précise qu’à partir des années 1750, il profite de ses fonctions et de son réseau familial – trois frères, un gendre et un fils engagés dans la Marine – pour constituer une importante collection de naturalia ou spécimens naturalistes du monde entier. Dès 1757, celle-ci s’est fait une réputation dans le milieu des cabinets d’histoire naturelle, du fait de la richesse de ses coquilliers, de ses madrépores (une espèce de corail) et de ses oiseaux exotiques.

« Il usa des revenus de son emploi pour acquérir les productions de la nature et de ses loisirs pour les préparer, disposer et étudier. Trois frères auxquels il servit de père dès leur jeunesse et un fils encore actuellement à l’Isle de France [île Maurice] concoururent à la formation de son cabinet, il profita des moyens que sa place lui offroit pour les faire voyager et secoua tellement leur zèle par ses revenus et son crédit qu’en peu d’années ils l’enrichirent d’objets envoyés des pays les plus éloignés ».

Louis Richard, botaniste, professeur de médecine et académicien, 1792

Projet CROYAN Paris Nikolaus Stolle
François Boucher (d’après), Frontispice, in A.-J. Dezallier d’Argenville, La Conchyliologie ou histoire naturelle des coquilles de mer, d’eau douce, terrestres et fossiles, avec un traité de la zoomorphose, Paris, vol.1, 1780
© Bibliothèque nationale de France (http://www.gallica.bnf.fr)

Les mentions faites de la collection avant son acquisition par le comte d’Artois n’évoquent que des naturalia, dont un seul spécimen peut être rattaché à la sphère culturelle : un « Manitou » décrit comme « un petit squelette monstrueux adoré par les sauvages des païs d’en haut de la Louisiane », obtenu par le capitaine de marine et explorateur Jean-Bernard Bossu lors de son séjour parmi les Illinois en 1756. Cette pièce est offerte à Fayolle avant 1768.

Un précepteur pour les Enfants de France ?

Le cabinet d’histoire naturelle de Fayolle est encore cité pour son importance en 1780, avant d’être acquis en 1785 par le comte d’Artois pour l’éducation de ses fils, Louis-Antoine, duc d’Angoulême (1775-1844) et Charles-Ferdinand, duc de Berry (1778-1820). C’est dans ce contexte que Fayolle se voit proposer la charge de garde du cabinet nouvellement fondé : il entre au service de la Maison d’Artois. Par là même, nous pouvons supposer que Fayolle devient le précepteur des jeunes princes pour l’histoire naturelle et les sciences, les fonctions de garde de cabinet et de précepteur représentant le plus souvent deux aspects d’une même charge à la cour.

L’éducation princière, qui s’est mise en place au milieu du XVIIe siècle, évolue au Siècle des Lumières, au gré de l’avancée des savoirs en cette période d’effervescence intellectuelle. La seconde moitié du XVIIIe siècle est marquée par un attrait nouveau pour l’histoire naturelle qui devient une véritable mode culturelle. Les publications et les collections dans le domaine se multiplient et, au cours des dernières décennies de l’Ancien Régime, les pédagogues intègrent cette discipline dans leur plan d’enseignement.

Charles Emmanuel Joseph Le Clercq, La comtesse d’Artois et ses enfants (Sophie d’Artois, le duc de Berry et le duc d’Angoulême), 1783, huile sur toile, bois, 0,47 x 0,39 m, Château de Versailles, MV 8572
© Château de Versailles, Dist. RMN-Grand Palais / Christophe Fouin

La structure éducative princière repose en premier lieu sur un gouverneur. Ainsi, en 1780, à la demande du comte d’Artois, Louis XVI nomme Louis-Armand de Sérent, marquis de Kerfily, gouverneur des ducs d’Angoulême et de Berry, alors âgés de cinq et trois ans. Le gouverneur supervise autour d’eux une équipe d’individus chargés de veiller sur leur vie quotidienne et sur leur comportement, auxquels s’ajoutent des précepteurs plus spécifiquement responsables de leur éducation, parmi lesquels se trouve, très probablement, Fayolle.

Un collectionneur devenu conservateur

Les conditions de la vente du cabinet Fayolle sont explicitées dans un rapport tardif, datant du 5 Messidor an II de la République (23 juin 1794). Ce document indique que le gouverneur Sérent, profitant du désir de Fayolle de rester attaché à la gestion de son ancien cabinet, lui propose en 1785 la charge de conservateur de la collection. Il lui impose alors un marché que le naturaliste ne peut refuser sans risquer de s’exposer à une disgrâce : en échange de la rente annuelle accordée dans le cadre de ses nouvelles fonctions, le prix de vente du cabinet est revu à la baisse.

« Que les grands étoient petits dans les marchés concernant les Arts et les Sciences ! »

Louis Richard, «Rapport sur l’origine du cabinet d’histoire naturelle établi au Musée de Versailles», 1794

Cette présentation des faits, qui met en scène Fayolle en mauvaise posture face à un prince ambitieux, semble quelque peu excessive si l’on considère l’honneur de la charge qui lui est accordée et la relation étroite qui semble l’avoir lié à la Maison d’Artois et à Sérent. Le ton du rapport de 1794 s’explique probablement par la volonté de Fayolle de marquer ses distances avec la famille royale et tout particulièrement avec le comte d’Artois, chef de file de la lutte contre-révolutionnaire, afin d’éviter d’être accusé d’amitiés compromettantes. Il cherche par ailleurs à se faire rembourser certains frais qui lui sont apparemment encore dus, notamment une partie du prix d’achat de sa collection.

Un formidable cabinet de curiosités

Le contenu du cabinet du comte d’Artois est connu grâce à un inventaire établi le 20 août 1792 : il constitue alors un ensemble d’une envergure impressionnante. L’ensemble qui nous intéresse ici est celui stocké dans la première salle, rassemblant les pièces « ethnographiques ». À côté des médailles, on trouve des statuettes romaines, égyptiennes, péruviennes, des Caraïbes et des « Anthropophages de la Baye des Assassins » (Nouvelle-Zélande), ainsi qu’un ensemble de vêtements, de parures et d’armes illustrant, par leur provenance, la présence coloniale française en Asie, en Afrique et en Amérique.

Est cité en premier lieu « l’habillement complet d’un sauvage du Canada » exposé sur un mannequin, suivant un usage répandu dans les cabinets d’histoire naturelle de l’époque ; suivent « deux autres têtes modelées en cire sur la nature même coiffée, l’une à la manière Indienne des sauvages de Cayenne et l’autre à la manière des sauvages de la Louisiane ».

Le reste des pièces inclut des « costumes d’esquimaux », un calumet et des armes des « sauvages » du Canada, quatre casse-têtes des Indiens de Cayenne (actuelle Guyane), diverses armes de la Baie des Assassins, des arcs, des carquois et des flèches des peuples d’Amérique et d’Inde, « un petit canot esquimau à l’épreuve de l’eau », etc. L’ensemble américain est de loin le plus important en nombre. Le lot de « 18 tapis de peaux de bœufs Illinois chevreuils et autres quadrupèdes de l’Amérique septentrionale tous passés et peints par les Sauvages du Canada et de la Louisiane » reste le plus exceptionnel de l’ensemble.

Les auteurs

Ressources

  • Pierre-Yves Lacour, La République naturaliste : Collections d’histoire naturelle et Révolution française (1789-1804). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications scientifiques du Muséum, 2014.
  • Pascale Mormiche, « Versailles, lieu d’enseignement des sciences », in Catherine Arminjon et Beatrice Saule (éd.), Sciences et curiosités à la cour de Versailles, Versailles / Paris, Établissement public du musée et du domaine national de Versailles / RMN, 2010, p.173-187.
  • Paz Núñez-Regueiro et Nikolaus Stolle, « Les origines du Cabinet de curiosités et d’objets d’art de la bibliothèque municipale de Versailles : aléas d’une collection de l’Ancien Régime à l’Empire (1785-1805) », Revue des Musée de France, n°1, 2021, p.60-67.

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