Denis-Jacques Fayolle (2)
Le cabinet d’Artois à l’Hôtel Sérent (1789-1797)
Au moment de la constitution du cabinet du comte d’Artois, ses fils sont logés dans l’aile nord du château de Versailles, où ils partagent un appartement d’éducation avec leur gouverneur Sérent et le personnel de service. Face au peu de place consacré à un espace de travail, il est décidé que cette collection sera installée dans l’hôtel particulier du marquis, situé au 8, rue des Réservoirs, juste à côté du palais.
Cet hôtel, acquis par Sérent de M. de Rohan Chabot en juillet 1780, fait alors l’objet d’importants travaux de rénovation qui ne s’achèvent qu’en 1789. En attendant, le cabinet est stocké durant trois ans dans un local loué par Fayolle, à un emplacement indéterminé. La collection est ensuite transférée à l’hôtel Sérent et installée, pour partie, dans un grand corps d’armoires en bois d’acajou commandé par Fayolle, qui vient tout juste d’être réceptionné quand éclate la Révolution.
© Ville de Versailles / Pierrick Daul
Les jeunes princes ne profitent donc pas des nouveaux locaux de l’hôtel Sérent. Le comte d’Artois est l’un des premiers nobles à émigrer le 16 juillet 1789, suivi en octobre par le marquis de Sérent qui reçoit l’ordre de conduire les ducs d’Angoulême et de Berry à la Cour de Sardaigne, où il achèvera leur éducation. À la confiscation des biens de la Couronne, décrétée par l’Assemblée constituante en décembre 1789, s’ajoute le séquestre puis, le 30 mars 1792, la confiscation des biens des émigrés ayant quitté la France depuis le 1er juillet 1789. Les scellés sont apposés sur l’hôtel Sérent dès 1789 et le cabinet reste inaccessible pendant plusieurs mois : la collection, laissée sans soin, est en proie aux infestations et se détériore rapidement.
Fayolle est alors désigné pour reprendre la garde de la collection et poursuivre son installation méthodique initiée quelques années plus tôt. À compter de 1793, il habite l’hôtel Sérent et reçoit régulièrement des visiteurs dans le cabinet. Il met ainsi à l’abri la collection dont il défend l’exceptionnalité.
Un cabinet princier devenu dépôt de biens nationaux
En octobre 1789, Fayolle a en effet été nommé commissaire-artiste de la Commission temporaire des Arts du département de Seine-et-Oise, pour l’histoire naturelle, les antiquités, la physique, la chimie et « tous les autres objets de Sciences et de curiosités ». À l’instar des autres membres de la Commission, devenue permanente en octobre 1792, il a pour mission de mettre de côté, lors de la levée des scellés sur les résidences royales, les édifices religieux, les châteaux d’émigrés, etc., les biens pouvant être utiles à l’instruction publique dans son domaine de spécialité, les sciences.
Les biens artistiques recueillis au profit de la Nation sont d’abord transportés dans une maison située sur l’avenue de Saint-Cloud puis, compte tenu du manque de place, au château de Versailles, où est établi le principal dépôt pour les œuvres saisies dans le département. Il en est autrement pour les objets de science sélectionnés par Fayolle, notamment les exotica, qui sont rassemblés au cabinet de l’hôtel Sérent. En effet, pour éviter que les collections du cabinet d’Artois ne subissent des dommages supplémentaires par leur transport précipité au château, celles-ci sont laissées à l’hôtel Sérent, qui fait dès lors office de dépôt pour les objets de science. La collection d’Artois se voit ainsi enrichie des saisies réalisées par Fayolle, jusqu’aux mois de mars et d’avril 1797, quand l’hôtel est rendu à la Maison Sérent et mis en location. L’ensemble du cabinet est alors déplacé au château de Versailles.
Un cabinet d’histoire naturelle au château de Versailles
Depuis la Révolution, Paris s’impose sur la ville des rois de France et la question se pose du devenir du château de Versailles. Après en avoir fait un dépôt central, la Commission des Arts de Seine-et-Oise l’ouvre au public, suivant en cela l’exemple du Musée central des Arts de Paris, inauguré en 1793 au palais du Louvre. Le 18 avril 1796, le Musée central des Arts de Versailles, dirigé par Fayolle, ouvre ses portes dans le Grand Appartement. Y est rattaché le cabinet d’histoire naturelle issu du cabinet d’Artois, dont le naturaliste assure toujours la conservation.
Face à la constante menace d’un transfert vers Paris des collections versaillaises, Fayolle imagine, en juillet 1796, une solution favorablement accueillie par le ministre de l’Intérieur Pierre Bénézech : il propose la cession au Muséum de Paris de toutes les œuvres des Écoles étrangères conservées à Versailles, en échange de celles de l’École française se trouvant à Paris. C’est ainsi qu’en 1797 voit le jour le Musée de l’École française, destiné à valoriser la production artistique nationale de peinture et de sculpture, y compris celle des artistes vivants. Le guide de la collection, publié en 1801, signale la présence d’un « Portrait du citoyen Fayolle, conservateur du cabinet d’histoire naturelle » réalisé par le peintre François-Valentin Gazard, membre de la Commission temporaire des Arts et conservateur adjoint du Musée spécial de l’École française. Le fait que ce portrait demeure non localisé à ce jour nous prive de la possibilité de mettre un visage sur le nom de Denis-Jacques Fayolle…
© musée du quai Branly - Jacques Chirac, photo Patrick Gries
Le Musée de l’École française étant dédié à la peinture et à la sculpture, un nouveau directeur prend la tête de l’institution. La « partie de l’histoire naturelle, physique, chimie et autres sciences » est retirée de son domaine de compétence et confiée à Fayolle, conforté dans ses fonctions de conservateur du Cabinet d’histoire naturelle. Fayolle se consacre à l’étude de la collection et poursuit son enrichissement. Il mène son dernier combat en 1800, quand l’École spéciale, nouvellement créée à Versailles, réclame le transfert du cabinet dans ses locaux pour servir à ses missions d’enseignement. Fayolle adresse alors une pétition au ministre de l’Intérieur Lucien Bonaparte afin d’éviter la dispersion du fonds et de défendre son statut de conservateur. Fayolle a alors soixante-dix ans passés. Le ministre donne une issue favorable à sa demande et Fayolle reste dans ses fonctions. Il décède à la fin de l’été 1804. Son adjoint Letellier de Sainteville lui succède : c’est lui qui supervise, en 1806, le transfert du cabinet vers les locaux de la bibliothèque municipale de Versailles.
Une enquête à poursuivre
Au terme de ce parcours biographique, il apparaît que les origines de la collection ethnographique du cabinet du comte d’Artois restent encore à retracer. L’idée défendue ces dernières années selon laquelle Denis-Jacques Fayolle s’était procuré ces pièces par le biais de son réseau familial en exercice dans différentes parties du monde ne semble pas pouvoir être confirmée. Sa spécialité relevait principalement du domaine de l’histoire naturelle ; on peut raisonnablement supposer que la collection ethnographique aujourd’hui déposée par la bibliothèque municipale de Versailles au musée du quai Branly-Jacques Chirac provient non pas de sa collection personnelle, mais plutôt des cabinets d’Ancien Régime acquis par le comte d’Artois entre 1785 et 1789, ainsi que de ceux confisqués à la période révolutionnaire et auxquels Fayolle a eu accès en tant que commissaire des arts.
Les auteurs
Ressources
- Pierre-Yves Lacour, La République naturaliste : Collections d’histoire naturelle et Révolution française (1789-1804). Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications scientifiques du Muséum, 2014.
- Matthieu Lett, « Du château des rois au palais de la Nation : Versailles et le musée spécial de l’École française (1797-1804) », Histoire de l’Art, n°84-85, 2019/2020, p. 43-56.
- Paz Núñez-Regueiro et Nikolaus Stolle, « Les origines du “Cabinet de curiosités et d’objets d’art” de la bibliothèque municipale de Versailles : aléas d’une collection de l’Ancien Régime à l’Empire (1785-1805) », Revue des Musée de France, n°1, 2021, p. 60-67.
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